Les routes maritimes, artères vitales du commerce mondial, ont longtemps navigué hors des radars de la régulation climatique. Cette époque touche à sa fin. Le 11 avril, le Comité de protection du milieu marin de l’Organisation maritime internationale (OMI) a scellé un accord historique : désormais, tous les navires devront payer pour leurs émissions de CO₂. Ce compromis, inscrit dans le cadre « Net-Zero » de l’OMI, tente de concilier ambitions écologiques, réalisme industriel et équité géopolitique – un pari audacieux, mais encore fragile.
Les deux piliers de la transition
L’accord repose sur une double révolution :
- Un standard carbone : Obligation progressive de réduire l’empreinte des carburants maritimes, poussant les armateurs vers l’ammoniac, l’hydrogène ou les biocarburants.
- Une taxe mondiale : Prix encore indéfini, mais une première pour un secteur transnational.
L’OMI évite ainsi un clash réglementaire avec l’Union européenne, qui avait déjà intégré le maritime dans son système d’échange de quotas (ETS). Mais les tensions persistent : quel tarif ? Qui paiera ? Et comment contrôler ? Autant de questions reportées à plus tard.
Les leçons de l’histoire
Le maritime suit avec retard la voie de l’aviation, confrontée dès 2016 au système CORSIA de l’OACI – un dispositif affaibli par des contrôles laxistes. L’OMI reproduit-elle les mêmes erreurs ? Sa réussite tiendra à un détail clé : contrairement à CORSIA, sa taxe crée une incitation économique directe. Suffisant pour briser l’inertie ? Rien n’est moins sûr.
La Chine, futur leader du maritime vert ?
Tandis que l’Occident débat, la Chine agit. Pékin contrôle près de la moitié de la construction navale mondiale et investit massivement dans le méthanol et l’ammoniac « verts ». Les minéraux rares, indispensables à la propulsion éolienne ? La Chine en détient le monopole. Loin de subir la transition, elle en fait un levier industriel – une stratégie pragmatique qui pourrait lui offrir une avance décisive.
Les écueils à venir
Le transport maritime (3 % des émissions mondiales) entre dans une ère de turbulences :
- Le casse-tête des carburants : Entre méthanol et ammoniac, les armateurs doivent choisir – au risque de miser sur le mauvais cheval.
- La question équitable : Le Brésil et l’Inde dénoncent une taxe pénalisant leur croissance. Les « mesures transitoires » promises par l’OMI restent floues.
- Le contrôle fantôme : Comment imposer le respect des règles quand les pavillons complaisants dominent les mers ?
Un cap encore incertain
L’accord de l’OMI est une victoire diplomatique. Mais son application s’annonce périlleuse : à la différence de l’Accord de Paris, cette taxe impose une règle universelle – une première. Saura-t-elle concilier écologie et réalités économiques ? Ou sombrera-t-elle sous le poids de ses contradictions ? Les années à venir dessineront le visage d’une industrie maritime à la croisée des chemins.