Alors que les puissances occidentales multiplient les discours sur la transition énergétique, la Chine vient de réaliser un coup d’éclat technologique en inaugurant la première autoroute dédiée aux camions à hydrogène. Ce corridor logistique de 1 150 km, flanqué de quatre stations de ravitaillement, révèle la stratégie multidimensionnelle de Pékin : verdir son industrie tout en consolidant sa domination sur les technologies du futur.
L’hydrogène, nouveau champ de bataille géoéconomique
Derrière les annonces écologiques se profile une course technologique implacable. Si l’Europe mise sur des normes environnementales strictes (10 millions de tonnes d’hydrogène vert visées d’ici 2030) et les États-Unis sur des subventions massives (3$/kg via l’Inflation Reduction Act), la Chine joue la carte de l’infrastructure à grande échelle. Un paradoxe notable : alors que ce projet se pare des atours de la modernité écologique, 60% de l’hydrogène chinois provient encore de la gazéification du charbon – une réalité soigneusement mise en retrait par les communiqués officiels.
Le modèle Sinopec : capitalisme d’État version verte
Le géant pétrochimique Sinopec, bras armé énergétique de Pékin, incarne cette ambivalence. Tout en planifiant 1 000 stations hydrogène d’ici 2030 et un méga-complexe de production en Mongolie-Intérieure (260 000 tonnes/an), l’entreprise reste le premier émetteur de CO2 du pays. Cette schizophrénie industrielle n’est pas un hasard : elle reflète la tension entre impératifs climatiques et sécurité énergétique dans un pays où le charbon représente encore 56% du mix électrique.
Les limites structurelles du « rêve hydrogène »
Trois écueils majeurs persistent :
- L’équation économique : à 4-6$/kg, l’hydrogène vert reste non compétitif face au diesel, malgré les subventions d’État
- La dépendance technologique : les piles à combustible utilisent encore des métaux rares contrôlés par l’Occident
- Le paradoxe environnemental : le bilan carbone reste discutable sans captage du CO2 sur la production « grise »
Conclusion : une transition sous conditions
Ce projet pharaonique, s’il consolide l’avance chinoise dans les infrastructures vertes, ne doit pas masquer les contradictions fondamentales d’un modèle qui mise simultanément sur toutes les énergies – fossiles comme renouvelables. La vraie rupture interviendra lorsque Pékin acceptera de sacrifier une partie de sa croissance sur l’autel climatique, un calcul politique dont les termes restent à définir.
Sources :
- AIE (World Energy Outlook 2023)
- China Hydrogen Alliance (White Paper 2022)
- BloombergNEF (Hydrogen Economy Outlook)
- https://commission.europa.eu