En août 2025, le Wall Street Journal révélait que plusieurs dirigeants de la Silicon Valley dépensaient déjà des dizaines de milliers de dollars pour soumettre leurs enfants à des tests génétiques avancés – visant à détecter non seulement des risques de maladies, mais aussi des marqueurs potentiels d’intelligence. Encore marginal, ce phénomène pose une question provocatrice : et si la prochaine économie n’était pas seulement numérique ou décarbonée, mais aussi biologique ?

Du capital numérique au capital biologique

Depuis plusieurs décennies, les marchés se sont structurés autour de l’essor des actifs immatériels – logiciels, données, propriété intellectuelle. Mais une économie parallèle émerge : celle où les données génomiques, les technologies reproductives et l’optimisation cognitive pourraient devenir, elles-mêmes, des classes d’actifs.

Le marché mondial de la génomique, estimé à plus de 30 milliards de dollars en 2024, devrait plus que doubler d’ici 2030, porté par les avancées du séquençage, l’édition génétique CRISPR et les diagnostics assistés par l’intelligence artificielle. Pour les investisseurs, il s’agit d’une nouvelle frontière : identifier les entreprises capables de sécuriser précocement leur propriété intellectuelle et de développer des applications éthiques de « l’intelligence génétique ».

Vers un nouveau marché du capital humain

L’idée, avancée par certains chercheurs cités dans le WSJ, selon laquelle une intelligence accrue pourrait constituer une protection face aux risques liés à l’intelligence artificielle, redéfinit le capital humain comme une ressource économique stratégique.

Si l’éducation et la formation ont été les moteurs de croissance du XXᵉ siècle, l’optimisation génétique pourrait devenir l’avantage compétitif du XXIᵉ.

Pour les décideurs, deux réalités se dessinent :

  • Demande institutionnelle : une adoption précoce pourrait conduire à de nouveaux modèles éducatifs privés, où les données génétiques orienteraient l’admission, l’enseignement et même les parcours professionnels.
  • Segmentation des marchés : un accès inégal renforcerait de nouvelles fractures socio-économiques, avec des implications profondes pour l’emploi, la productivité et la stabilité politique.

Politiques, éthique et réaction des marchés

L’histoire montre que les marchés évoluent plus vite que les régulations. Dans les années 1990, Internet a devancé le cadre légal ; dans les années 2020, ce fut le cas des crypto-actifs. Les services liés à l’intelligence génétique pourraient suivre la même trajectoire, avec des flux de capitaux privés précédant tout consensus réglementaire.

La conséquence probable ? Une divergence géographique : les juridictions permissives attireront les investissements biotechnologiques, tandis que les zones plus strictes risqueront une fuite des capitaux.

D’un point de vue financier, cela ouvre à la fois des opportunités et des risques d’arbitrage :

  • Les entreprises à la convergence biotech-IA pourraient bénéficier de multiples de croissance élevés.
  • Les secteurs de l’éducation, de l’assurance et de la santé pourraient être bouleversés, car les données de risques génétiques défieront les modèles actuariels traditionnels.
  • Les investisseurs de long terme devront intégrer un nouveau paramètre : le risque de bio-divergence – l’idée que les inégalités d’accès aux améliorations génétiques redessinent les contrats sociaux et la stabilité politique.

Horizon à 10 ans : l’émergence d’une couche « biocapitaliste »

D’ici 2035, la « prochaine économie » pourrait ne plus se limiter aux réseaux d’énergie propre ou au capital numérique, mais intégrer une couche biocapitaliste : des marchés où les données génétiques, le potentiel cognitif et la résilience biologique seraient valorisés, échangés et assurés.

Pour les investisseurs, la question n’est pas tant de savoir si cela est souhaitable, mais si les flux de capitaux en feront une réalité. Avec un marché mondial déjà dynamique, promis à doubler d’ici la fin de la décennie, l’élan paraît difficile à ignorer.

Secteurs appelés à dominer

1. Biotechnologies & génomique

  • Acteurs clés : Illumina (ILMN), Thermo Fisher Scientific (TMO), ou encore CRISPR Therapeutics (CRSP).
  • Logique : la baisse des coûts de séquençage et l’analyse prédictive via l’IA pourraient élargir l’usage au-delà des maladies rares, jusqu’aux prévisions cognitives et de santé généralisées.
  • Note pour investisseurs : volatilité forte à court terme ; privilégier les entreprises disposant de brevets solides et de revenus diversifiés.

2. Santé & assurance

  • Acteurs clés : assureurs intégrant les données génétiques dans leurs modèles, tels qu’UnitedHealth Group (UNH) ou AXA.
  • Perturbations : les modèles actuariels classiques pourraient être remis en cause.
  • Note : des batailles juridiques sont à prévoir ; la régulation ralentira mais ne bloquera pas la réévaluation des risques.

3. Éducation & EdTech

  • Acteurs clés : Duolingo (DUOL), Pearson (PSO), ou de nouveaux acteurs asiatiques.
  • Logique : si les données génétiques guident l’évaluation cognitive précoce, la demande pour des outils d’apprentissage adaptatifs pourrait croître exponentiellement.
  • Note : surveiller les pays aux règles de données permissives (Singapour, Émirats arabes unis) qui pourraient devenir des pionniers.

4. Fonds thématiques & capital-risque

  • ETFs spécialisés : ARK Genomic Revolution ETF (ARKG), Global X Genomics & Biotechnology ETF (GNOM).
  • Capital privé : ruée attendue vers les start-ups de biotechnologie cognitive ; les family offices pourraient mener la danse.

Forces macro à surveiller pour les investisseurs

  • Courbe des coûts du séquençage : sous la barre des 100 dollars par génome, le marché de masse devient possible.
  • Divergence réglementaire : États-Unis et Asie pourraient avancer rapidement ; l’Europe rester plus prudente.
  • Acceptation sociale : l’essor dépendra de la perception : prévention sanitaire ou outil élitiste ?
  • Synergie avec l’IA : les entreprises les plus précieuses seront celles qui sauront fusionner données biologiques et diagnostics intelligents.

Stratégie de portefeuille (horizon 2025-2035)

Thème d’allocationProfil de risqueFacteurs de rendementCouverture / Contrôle du risque
Biotech & génomique (10-15%)Volatilité élevéePercées CRISPR, baisse des coûts de séquençageDiversification via ETFs
Santé & assurance (5-10%)MoyenNouveaux modèles de tarificationRégulation limitant le potentiel
EdTech & analytique cognitive (3-5%)ÉmergentApprentissage adaptatif par l’IARisque de concentration
Capital-risque / private equity (5%)Très élevéAvantage du premier entrantRéservé aux investisseurs avertis
Infrastructures vertes & numériques (10-15%)StabilisateurCroissance non corréléeÉquilibre face au risque biocapitaliste

En résumé pour décideurs et investisseurs

À l’horizon 2035, le capital biologique pourrait s’ajouter au capital financier et numérique comme moteur de croissance. Pour les portefeuilles visionnaires, une exposition précoce à la génomique, à la convergence santé-IA et à l’EdTech offrira un potentiel de rendement asymétrique – mais au prix de risques réglementaires et réputationnels.

Pour les dirigeants publics et privés, les enjeux seront encore plus vastes : accès, équité et gouvernance détermineront si cette mutation reste l’apanage d’une élite ou s’impose comme transformation de masse du capital humain.

Une chose paraît déjà acquise : les capitaux qui affluent vers cette frontière annoncent un futur où, inévitablement, la biologie sera financiarisée.

Sources

  • Wall Street Journal, via RBC (août 2025) : investissements de la Silicon Valley dans le testing génétique pour une génération « plus intelligente ».
  • OCDE (2025) : tendances de l’investissement immatériel et du capital humain.
  • MarketsandMarkets (2024) : prévisions du marché de la génomique 2024 – 2030.
  • Forum économique mondial (2023) : The Future of Human Enhancement.
  • Nature Biotechnology (2024) : avancées dans l’adoption du CRISPR et de l’édition génétique.