La géopolitique continue d’être le fil invisible mais déterminant des marchés énergétiques. Après les chocs des dernières années (guerre en Ukraine, tensions récurrentes au Moyen-Orient, réajustements commerciaux du gaz liquéfié (GNL)) les flux d’énergie se recomposent, révélant autant de fragilités que d’opportunités structurelles. Ces recompositions ne sont pas seulement financières : elles dessinent des trajectoires d’investissement, des priorités industrielles et des choix politiques qui façonneront le climat économique et environnemental des décennies à venir.

1) Situation actuelle et dernières évolutions : liquides et gazeux sous tension

Sur le front pétrolier, l’offre mondiale est en hausse nette sur 2025, portée par des relances de production dans plusieurs pays et par une volonté d’OPEP+ de stabiliser les quotas plutôt que d’accélérer des coupes supplémentaires, une posture qui maintient la volatilité politique au cœur du prix du brut.

Côté gaz, le marché du GNL reste l’un des principaux marqueurs de la reconfiguration énergétique globale : les États importateurs (Japon, Corée, Union européenne) diversifient leurs fournisseurs tandis que les exportateurs, notamment les États-Unis, multiplient contrats et projets. Ce basculement augmente la concurrence sur les infrastructures (terminaux, méthaniers) et sur les contrats long terme, avec des effets visibles sur les prix spot et les coûts logistiques.

2) L’Union européenne : transition accélérée et contraintes d’autonomie

L’UE a posé des choix politiques clairs : réduire sa dépendance aux énergies russes et accélérer la transition (REPowerEU et feuille de route associée). Ces politiques créent simultanément une forte dynamique de décarbonation et des défis opérationnels comme la gestion des stocks, investissements dans les interconnexions, et sécurisation des approvisionnements alternatifs. L’assouplissement récent de certaines règles de stockage du gaz illustre la délicate conciliation entre sécurité d’approvisionnement et pression sur les prix.

Les conséquences sont concrètes pour l’industrie européenne : hausse des besoins d’investissement dans les réseaux électriques, accélération des appels d’offres renouvelables, mais aussi besoin accru de solutions de stockage (électrique et gazière) et d’approvisionnements stables en matières premières critiques (nickel, cuivre, lithium…) nécessaires à la transition.

3) Pays émergents : croissance rapide, trajectoires hétérogènes

Les pays émergents présentent une double dynamique. D’un côté, la demande d’énergie augmente fortement (croissance économique, urbanisation, électrification des transports) une poussée encore majoritairement satisfaite par les énergies fossiles dans plusieurs régions. De l’autre, des émergents (Inde, certains pays d’Asie du Sud-Est) déploient massivement les renouvelables et améliorent l’efficacité énergétique, ce qui commence à infléchir la croissance de la demande fossile domestique. Les chiffres récents sur la production électrique en Inde et la trajectoire de la demande en Chine illustrent ces évolutions contrastées.

4) Tendances structurantes (court et moyen terme)

Surabondance de l’offre pétrolière à court terme : plusieurs analyses signalent un rebond de l’offre mondiale, ce qui peut peser sur les prix nominalement élevés de 2024-2025.

Vague d’exportations GNL des États-Unis : une forte augmentation de la capacité exportatrice américaine redessine les routes du GNL et exerce des pressions à la baisse sur les prix spot à horizon 2026 si la demande n’absorbe pas l’offre additionnelle.

Pressions logistiques et maritimes : disponibilité des méthaniers et coûts de transport restent des facteurs de volatilité saisonnière : l’hiver et les incidents géopolitiques peuvent rapidement resserrer les marchés.

5) Risques majeurs (géo)politiques et systémiques

Les risques principaux restent la détérioration militaire dans des régions productrices, la politisation des corridors d’exportation, et les ruptures d’approvisionnement (climatiques ou techniques). Parallèlement, la concentration des chaînes d’approvisionnement de certains minerais critiques fait peser un risque stratégique sur la transition bas-carbone. Les autorités publiques sont conscientes de ces vulnérabilités, mais la coordination internationale reste imparfaite.

6) Une prévision à long terme qui surprendra, mais s’appuie sur des données : l’huile noire reste centrale plus longtemps que prévu

L’Agence internationale de l’énergie (IEA) et plusieurs analyses récentes montrent que, malgré l’accélération des renouvelables, la demande pétrolière pourrait rester substantielle au-delà de 2030 dans plusieurs scénarios de référence, poussée par la croissance des transports lourds, la pétrochimie et des trajectoires de consommation différenciées entre pays avancés et émergents. Autrement dit : la décarbonation n’entraînera pas une disparition rapide du pétrole, mais plutôt une recomposition de ses usages et de ses zones de demande. Cette réalité contraint à repenser la transition non pas comme une substitution instantanée mais comme une redéfinition progressive des marchés et des infrastructures.

7) Point investisseur

Pour les décideurs et investisseurs institutionnels, les enjeux sont doubles : sécuriser l’amont (approvisionnement en hydrocarbures et en matières premières critiques) tout en capturant la valeur de la transition (infrastructures de réseau, stockage, hydrogène, batteries). Les stratégies prudentes privilégieront la diversification géographique des approvisionnements, l’exposition aux actifs facilitant la flexibilité du réseau (stockage, regazéification, interconnexions), et une veille fine sur les risques politiques régionaux. Le scénario plausible d’une offre pétrolière abondante à court terme mais d’une demande résiliente à long terme implique de ne pas pari­er exclusivement sur l’un ou l’autre extrême.

8) Conclusion : un appel à la lucidité stratégique

Le marché énergétique est aujourd’hui à la croisée des chemins : les forces géopolitiques dictent le tempo à court terme, tandis que les moteurs technologiques et réglementaires dessinent un horizon de long terme encore incertain. La sobriété et la diversification, tant matérielles que politiques,  resteront des maîtres mots. Les décideurs qui sauront articuler sécurité, transition et résilience auront non seulement un avantage économique, mais aussi la responsabilité d’infléchir l’avenir climatique et social de la planète.

Sources:

  1. International Energy Agency (IEA), World Energy Outlook 2024, Executive Summary. IEA, 16 Oct 2024.
  2. International Energy Agency (IEA), Overview and key findings, World Energy Outlook 2024. IEA.
  3. IEA, Oil 2025 (rapport détaillé). 17 Jun 2025.
  4. IEA, Oil Market Report, November 2025 (highlights). 13 Nov 2025.
  5. Reuters, OPEC+ seen keeping oil output unchanged, focus on capacity debate, 25 Nov 2025.
  6. Reuters, Venture Global, Tokyo Gas sign 20-year LNG supply deal, 26 Nov 2025.
  7. Reuters, LNG prices will drop in 2026 to absorb supply surge, but …, 13 Nov 2025.
  8. Reuters, China’s fossil-fuelled power output may fall in 2025 for first time in decade, 27 Jan 2025.
  9. Reuters, India’s October power output sees sharpest drop since COVID; renewables surge, 3 Nov 2025.
  10. European Commission, Energy, REPowerEU roadmap (communiqués et feuille de route), 6 May 2025.
  11. European Commission, Press corner, State of the Energy Union 2025, 5 Nov 2025.
  12. Reuters, Renewables and coal are working to push out crude oil in China, 24 Jul 2025.
  13. Reuters, IEA’s bullish oil outlook is a nod to Trump, wake-up call for …, 12 Nov 2025 (analyse sur la lecture médiatique et politique des projections IEA).
  14. Oxford Institute for Energy Studies, Insight, EU Gas Storage Regulation (PDF), Nov 2025.
  15. Reuters, EU agrees to loosen gas storage rules, 24 Jun 2025.
  16. Reuters, LNG shipping rates hit multi-month highs on tighter vessel availability, 4 Nov 2025.