Alors que le dérèglement climatique s’accélère, les nations se tournent vers des mécanismes de marché pour réguler les émissions de gaz à effet de serre. Parmi ces dispositifs, les systèmes d’échange de quotas d’émissions (SEQE) s’imposent comme un instrument privilégié, conjuguant rigueur économique et impératifs écologiques. Il y a dix ans, ces systèmes ne couvraient que 17,5 % des émissions mondiales ; aujourd’hui, leur expansion est fulgurante, sous l’égide de l’Union européenne, tandis que de nouveaux marchés émergent en Asie et en Amérique du Nord.

Quotas carbone : un levier régulatoire

Un quota d’émissions constitue une limite imposée par les États aux entreprises, définissant le volume de CO₂ qu’elles peuvent rejeter dans l’atmosphère. Ces droits, calculés selon des critères industriels et des évaluations d’impact environnemental, doivent être détenus à raison d’une unité par tonne émise – obtenue gratuitement ou acquise aux enchères.

Le principe du « cap-and-trade » (plafonnement et échange) a été adopté par plus de 70 juridictions, dont l’UE, la Chine et plusieurs États américains. Selon un rapport de la Banque mondiale (2023), les initiatives de tarification du carbone – taxes et marchés inclus – couvrent désormais 23 % des émissions mondiales, contre 15 % en 2020.

Fonctionnement des marchés carbone : Deux modèles dominants

  1. Le « Cap-and-Trade » : Les régulateurs fixent un plafond d’émissions global, puis répartissent des quotas. Les entreprises vertueuses peuvent revendre leurs surplus ; les pollueurs doivent s’en procurer davantage.
  2. Le « Baseline-and-Credit » : Aucun plafond uniforme n’est imposé. Chaque acteur se voit assigner un objectif individuel, et ceux qui le dépassent génèrent des crédits négociables.

Le système européen (SEQE-UE), instauré en 2005, demeure le plus vaste, englobant la production électrique, l’aviation et l’industrie lourde (Commission européenne, 2024). Depuis 2024, il inclut également le transport maritime et l’incinération des déchets.

Parallèlement, les marchés volontaires du carbone – où les entreprises compensent leurs émissions en finançant des projets écologiques – connaissent un essor remarquable. Les analystes de BloombergNEF estiment que leur valeur pourrait passer de 2 milliards de dollars en 2023 à 50 milliards en 2030, portée par les engagements « zéro émission nette » des multinationales.

Équilibres économiques : gagnants et perdants

Ce système récompense les entreprises les plus sobres, leur permettant de monétiser leurs quotas excédentaires. À l’inverse, les industries polluantes voient leurs coûts augmenter, les incitant à adopter des technologies plus propres.

Cependant, des failles subsistent. Certaines firmes privilégient des compensations peu coûteuses plutôt que de réduire leurs émissions, tandis que d’autres délocalisent leur production vers des régions moins regardantes – un phénomène nommé « fuite de carbone ». Pour y remédier, l’UE a instauré un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF), taxant les importations issues de pays laxistes (Bruegel, 2024).

Hiérarchie mondiale : avant-gardes et retardataires

  • Union européenne : Les prix du quota ont atteint 100 € la tonne en 2025, précipitant la fermeture des centrales à charbon (ICIS, 2025).
  • Chine : Son SEQE national, lancé en 2021, est désormais le deuxième au monde, bien que les cours y restent modestes (Reuters, 2024).
  • États-Unis : Le système californo-québécois fait figure de modèle, malgré l’immobilisme fédéral (Brookings, 2024).

Les économies plus modestes, à l’instar de Singapour, dépendent largement des crédits carbone en raison de leurs ressources renouvelables limitées. La cité-État, plaque tournante du raffinage pétrolier, est devenue le premier acheteur asiatique de crédits (The Straits Times, 2024).

Perspectives pour 2030 : vers une régulation élargie

Les experts anticipent une couverture de 30 à 40 % des émissions mondiales d’ici 2030, avec l’intégration progressive de secteurs comme l’agriculture et le BTP (AIE, 2025). Le défi majeur ? Garantir transparence et réduction effective des émissions, au-delà des simples jeux d’écriture comptable.

Comme le soulignait Simon Stiell, secrétaire exécutif de l’ONU Climat, en 2024 : « Le marché du carbone est un outil, non une panacée. Sans contrôle rigoureux, il risque de n’être qu’un vaste exercice de verdissement superficiel. »

La course est désormais lancée pour perfectionner ces mécanismes – avant que le budget carbone de la planète ne soit épuisé.

Références :

  • Banque mondiale (2023). State and Trends of Carbon Pricing.
  • Commission européenne (2024). Manuel du SEQE-UE.
  • BloombergNEF (2024). Perspectives des marchés volontaires du carbone.
  • ICIS (2025). Analyse des prix du carbone en Europe.
  • Agence internationale de l’énergie (2025). Rapport sur la neutralité carbone en 2050.