Préambule

Nous vivons dans un siècle qui adore l’efficacité. Les robots soudent, les algorithmes prédisent, le capital fructifie dans le silence des serveurs. Pourtant, sous la surface du progrès, un paradoxe s’installe : plus la planète se peuple de machines, moins elle se peuple d’enfants. La vraie question n’est plus de savoir combien d’emplois seront supprimés par l’intelligence artificielle, mais qui sera encore là pour prendre soin des enfants, des anciens, de nous-mêmes.

1. L’équation mondiale du vide qui vient

Selon la révision 2024 des perspectives démographiques des Nations unies, la population mondiale a atteint 8,2 milliards d’habitants. Elle culminerait à 10,3 milliards autour de 2085, avant un lent déclin.
Ce n’est pas une apocalypse, mais une bascule : les deux tiers de l’humanité vivent déjà dans des pays où la fécondité est inférieure au seuil de renouvellement (2,1 enfants par femme).

  • France : en 2023, 678 000 naissances et un taux de fécondité de 1,68, son plus bas niveau depuis les années 1990 (source : INSEE, 2024).
  • Union européenne : selon Eurostat (2024), la moyenne est tombée à 1,46 en 2022, et continue de s’éroder.
  • Italie : environ 1,20 en 2023, et 1,18 en 2024 (ISTAT).
  • Espagne : 1,19 en 2023 (Reuters).
  • Japon : 758 631 naissances en 2023, huitième année consécutive de baisse.
  • Corée du Sud : record mondial de dénatalité, 0,72 enfant par femme (OCDE, 2024).
  • Chine : 9,54 millions de naissances en 2024, après 9,02 millions en 2023. C‘est une contraction structurelle malgré la fin de la politique de l’enfant unique.

2. Ce que les femmes refusent n’est pas l’enfant, mais le contrat

Partout, le même refrain : les femmes (et souvent les couples) ne rejettent pas la maternité ; elles rejettent un contrat social injuste.

Quand le logement devient inaccessible, la garde d’enfant hors de prix, le travail précaire et la carrière menacée, la décision de donner la vie devient un acte presque héroïque.

La Corée du Sud illustre cette fracture : malgré des aides financières massives, les femmes repoussent ou renoncent à la maternité, faute de pouvoir concilier emploi, logement et égalité. L’argent ne compense pas les heures de travail excessives ni le poids des inégalités de genre.

En Europe, les pays méditerranéens vivent la même tension : les politiques natalistes sans réformes structurelles (horaires flexibles, accès à la garde, sécurité économique) n’inversent pas la tendance.

3. Huit milliards d’humains : faut-il contrôler les naissances ?

La tentation ressurgit parfois : “nous sommes trop nombreux.”

Mais la science démographique est claire : le ralentissement est déjà enclenché.

Les Nations unies prévoient un pic naturel puis une décroissance progressive, sans intervention autoritaire.

Dans les régions à forte natalité (Afrique subsaharienne notamment), la transition démographique suit un chemin classique : éducation des filles, accès à la santé reproductive, autonomisation économique.
C’est cela (et non la coercition) qui régule durablement la population tout en renforçant la dignité humaine.

4. Les droits des mères dans un monde de machines

Le facteur oublié de toutes les équations, c’est le temps, plus précisément, le temps des femmes.
Nous avons automatisé la production, pas le soin. Un monde qui valorise davantage les machines que celles et ceux qui prennent soin des autres se condamne à manquer de bras, de cœurs et d’enfants.

Un pacte politique et moral s’impose : valoriser le soin comme un pilier de la richesse nationale.

Quelques leviers essentiels :

  1. Universaliser l’accès à la garde d’enfants : la France reste pionnière, mais les inégalités territoriales persistent.
  2. Adapter le travail à la vie, et non l’inverse : horaires prévisibles, télétravail sans pénalité de carrière, congés parentaux bien indemnisés.
  3. Fermer le fossé salarial de genre : là où il est profond, la natalité s’effondre.
  4. Traiter le logement comme une politique familiale : l’exode des jeunes ménages des centres urbains, faute d’accès au logement, précipite la chute des naissances.
  5. Penser la migration comme une respiration démographique : en Europe, c’est déjà le principal moteur de croissance de la population active.
  6. Réinvestir les gains de productivité de l’IA dans le capital humain : chaque robot doit financer une crèche, chaque algorithme, un congé parental.

5. Pourquoi encore donner la vie ?

Parce que la valeur d’une existence ne se mesure pas en productivité.

Donner naissance, aujourd’hui, n’est pas une fuite vers le passé, mais un acte de foi dans un futur où l’humain garde sa place.

Les enfants ne sont pas une charge pour le PIB, mais la seule richesse qui ne se déprécie pas.

Les politiques publiques qui réussiront ne seront ni natalistes ni malthusiennes, mais humanistes : elles permettront à chacun de choisir librement, sans que la maternité devienne un sacrifice, ni le refus de maternité une punition.

Sources

  • ONU : World Population Prospects 2024 : projections mondiales, seuil de remplacement, pic prévu vers 2085.
  • INSEE : Bilan démographique 2023 (publié janvier 2024) : 678 000 naissances, TFR 1,68.
  • Eurostat : Population & Fertility 2024 : TFR moyen UE 1,46 (2022).
  • OCDE : Korea’s Unborn Future (2024) : TFR 0,72 ; inégalités de genre, garde d’enfants, emploi féminin.
  • ISTAT : Rapporto demografico 2025 : Italie 1,20 (2023), 1,18 (2024).
  • Reuters (2024) : Espagne 1,19 (2023) ; Japon 758 631 naissances (2023) ; Chine 9,54 millions (2024).