Le marché pétrolier mondial renoue avec une dynamique de consolidation, sans pour autant s’extraire d’un contexte structurellement incertain. Le Brent, référence mondiale du brut, oscille actuellement entre 68,40 et 70 dollars, porté par la demande saisonnière en carburants et le rebond technique des places boursières américaines. Mais cette apparente stabilité masque une fragilité sous-jacente : celle d’un marché contraint entre les effets résiduels de la géopolitique, la montée en puissance des normes environnementales, et un surplus d’offre désormais bien ancré.
Un excès d’offre en toile de fond
D’après les dernières données consolidées par l’Agence internationale de l’énergie (AIE), relayées par Les Échos début août, la seconde moitié de l’année 2025 devrait enregistrer un excédent d’offre de près de 1,1 million de barils par jour, en raison de la hausse simultanée de la production américaine, libyenne et brésilienne. La firme texane Diamondback Energy, pourtant prudente, a abaissé ses prévisions de forage tout en signalant une saturation technique sur certains segments du marché.
La découverte par BP du plus grand gisement hydrocarbure depuis 25 ans – confirmée par Boursorama – accentue la pression sur les cours à moyen terme, tout comme le retour progressif d’ExxonMobil en Libye, après une décennie d’absence. En parallèle, les quotas imposés par Pékin aux raffineries privées ont provoqué une baisse de près de 30 % des importations chinoises de brut iranien en juillet, selon une synthèse AFP–France24. Cette contraction asiatique ponctuelle, bien que localisée, fragilise davantage l’équilibre mondial.
La géopolitique : un facteur de tension sans issue claire
La dernière déclaration de l’ancien président américain Donald Trump, relayée par Le Figaro, menaçant l’Inde de sanctions secondaires en cas d’achat de pétrole russe, illustre l’instabilité politique entourant les flux pétroliers. New Delhi a immédiatement dénoncé une « ingérence injustifiée » et réaffirmé sa souveraineté énergétique. Dans le même temps, Nayara Energy, raffineur soutenu par Rosneft, continue d’opérer hors du cadre des sanctions européennes, selon Reuters via Le Monde.
Ces interactions illustrent la complexité croissante de la diplomatie énergétique, dans laquelle les considérations stratégiques, commerciales et réglementaires se croisent, sans que les anciennes alliances garantissent encore la stabilité des flux.
Gaz naturel : perte de cap
Du côté du gaz naturel, les signaux sont davantage baissiers. Les contrats à terme sur le TTF européen ont quitté leur zone de consolidation située autour de 3 $/MMBtu, flirtant désormais avec les 2,90 $. L’analyse technique confirme l’absence de soutien à court terme : les volumes restent faibles, et les perspectives de rebond ne se concrétisent qu’en réaction à des excès ponctuels de survente.
Les règles ESG 2025 : une nouvelle donne structurelle
Depuis l’entrée en vigueur au 1er juillet 2025 des nouvelles exigences européennes sur la transparence ESG dans les chaînes d’approvisionnement en matières premières stratégiques, le paysage énergétique a connu une inflexion silencieuse mais décisive. Ces règles, consolidées dans le Règlement (UE) 2025/1193, imposent aux importateurs européens d’hydrocarbures de démontrer un « risque ESG nul ou résiduel acceptable » sur l’ensemble du cycle d’approvisionnement, incluant droits humains, émissions scope 1 à 3, et gouvernance contractuelle.
Pour les entreprises opérant au sein ou avec des pays à haut risque, le coût de conformité s’est nettement accru. Selon un rapport de Bpifrance Assurance Export, certaines majors pétrolières reconsidèrent leur exposition en Afrique du Nord ou en Asie centrale, faute de pouvoir garantir une traçabilité ESG complète. Le cas du gisement libyen réactivé par ExxonMobil soulève d’ores et déjà des questions sur sa compatibilité avec les nouvelles normes.
Perspectives 2025 – 2028 : compression des marges, réallocation des flux
Sur la base des scénarios validés par la Commission européenne (DG ENER) et France Stratégie, les trois prochaines années devraient voir :
- Une réallocation structurelle des investissements vers les sources fossiles à empreinte ESG modérée (Norvège, Canada, Golfe Persique) ;
- Une réduction des marges nettes pour les exploitants exposés aux juridictions à gouvernance faible, en raison de la hausse des coûts de conformité ESG ;
- Un report partiel de la demande européenne vers les biocarburants, GNL certifié ou électricité d’origine renouvelable dans les transports lourds.
Dans le secteur gazier, les perspectives sont plus contrastées. Les opérateurs européens accélèrent la diversification des approvisionnements, notamment via des contrats long terme avec le Qatar et les États-Unis, confirmés dans les déclarations conjointes de juillet entre Engie et Sempra (Les Échos, 22/07/2025). Le prix du gaz pourrait ainsi se stabiliser autour de 3 – 3,4 $/MMBtu d’ici fin 2027, en l’absence de nouvelles crises géopolitiques majeures.
Conclusion : vers une nouvelle hiérarchie énergétique
Loin de se résumer à une simple bataille entre offre et demande, le marché des hydrocarbures en 2025 est entré dans une phase de recomposition normative, où les critères environnementaux deviennent aussi contraignants que les données géologiques ou les aléas diplomatiques. Dans cette configuration, la volatilité pourrait cesser d’être un symptôme pour devenir une norme, à moins que les producteurs ne parviennent à intégrer pleinement les standards ESG tout en conservant leur compétitivité.
Les Échos, France Stratégie, Boursorama Actualités, AFP via France24, Le Figaro Internationa, Le Monde, Bpifrance Assurance Export, Commission européenne, Engie / Sempra, Journal officiel de l’Union européenne