À l’approche de la fin de l’année 2025, le marché mondial du pétrole s’installe dans une configuration très différente des cycles précédents. Le récit dominant n’est plus celui du choc d’offre, mais celui d’un excédent structurel.

Et si le prix du baril semble évoluer sans brusques secousses, les effets secondaires se propagent silencieusement dans les marchés connexes.

L’équilibre offre-demande

Selon le rapport d’octobre 2025 de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), l’offre mondiale de pétrole devrait croître d’environ 3 millions de barils par jour (Mb/j), contre une prévision précédente de 2,7 Mb/j (Argus Media, Reuters).

La demande, en revanche, ne progresserait que de 0,7 Mb/j en 2025 et 2026 , un net ralentissement par rapport aux tendances historiques (OilPrice.com, Reuters).

Résultat : un excédent moyen d’environ 1,9 Mb/j sur la période janvier-septembre 2025, pouvant atteindre près de 4 Mb/j en 2026 (Hydrocarbon Engineering).

L’EIA américaine partage ce diagnostic : elle anticipe un Brent à environ 62 dollars le baril au quatrième trimestre 2025, avec une hausse continue des stocks mondiaux (EIA, Short-Term Energy Outlook).

Ainsi, la perspective pour la fin d’année reste claire : un marché bien approvisionné, des marges de capacité disponibles, et une pression plutôt baissière sur les prix, sans risque immédiat d’envolée.

Au-delà du brut : les tensions invisibles

Parce que l’excès d’offre devient une donnée structurelle, ses conséquences se déplacent vers d’autres maillons de la chaîne énergétique :

  • Raffinage et pétrochimie : la croissance modeste de la demande mondiale comprime les marges des raffineries. L’AIE note que les cadences de raffinage augmentent légèrement, mais que les cracks (écarts de valorisation entre brut et produits) se réduisent. Les raffineurs voient ainsi leurs marges s’éroder, même sans chute du prix du brut.
  • Stocks, fret et stockage : les inventaires approchent leurs plus hauts niveaux depuis quatre ans (OCDE et hors-OCDE), tandis que le pétrole en mer (floating storage) augmente sensiblement. Les coûts logistiques et maritimes pourraient donc grimper malgré la stabilité du Brent, déplaçant la volatilité vers la chaîne d’approvisionnement plutôt que vers le prix spot.
  • Production amont : l’EIA prévoit une production record de 13,5 Mb/j aux États-Unis en 2025, complétée par la montée en puissance du Brésil, du Canada et du Guyana. Cette surabondance accentue la concurrence entre producteurs, affaiblit leur pouvoir de fixation des prix et augmente les seuils de rentabilité.
  • Pays importateurs émergents : la stabilité du baril (autour de 60-70 $) allège la facture énergétique des économies importatrices. La désinflation qui en résulte constitue un répit bienvenu pour les balances courantes et les politiques monétaires des pays en développement.

Corrélations et interconnexions systémiques

Les analystes suivent de près l’influence de cette structure pétrolière sur d’autres marchés :

  • Pétrole ↔ Inflation / devises : la décorrélation s’accroît ; le pétrole n’alimente plus directement les anticipations d’inflation. Les banques centrales peuvent donc traiter l’énergie comme une variable macroéconomique secondaire, réduisant le besoin de couverture inflationniste.
  • Pétrole ↔ Transport maritime : la hausse des volumes stockés et transportés sur mer renchérit les taux de fret, lesquels peuvent rester élevés même dans un contexte de prix du brut modéré.
  • Pétrole ↔ Actions énergétiques : avec la pression sur les marges de raffinage et la modération de la croissance, les investisseurs privilégient désormais les acteurs à faibles coûts et dividendes stables plutôt que les producteurs en expansion rapide.

Risques et incertitudes

Même une situation d’excédent comporte ses fragilités :

  • Une rupture d’approvisionnement (géopolitique, climatique ou technique) pourrait provoquer une envolée soudaine des prix dans un marché devenu complaisant.
  • Une reprise de la demande, stimulée par des politiques budgétaires ou monétaires, réduirait rapidement l’excédent anticipé.
  • Une mauvaise localisation des stocks ou des goulets d’étranglement régionaux pourraient masquer des tensions ponctuelles. L’AIE elle-même souligne des incertitudes sur la répartition géographique exacte des barils accumulés (Reuters, 16 octobre 2025).

Prévisions jusqu’à fin 2025

Sur la base des données disponibles :

  • Le Brent devrait rester dans une fourchette de 60 à 70 $ le baril, avec une légère pression baissière liée à l’accumulation des stocks.
  • Les marges de raffinage et les écarts sur produits dérivés risquent de se contracter davantage que le prix du brut.
  • Les indicateurs logistiques (fret, stockage, délais portuaires) deviendront des signaux précoces de tensions de marché.
  • Les pays importateurs nets profiteront d’un allègement de leur facture énergétique, contribuant à modérer l’inflation mondiale.

Conclusion

L’absence de flambée du prix du pétrole est en soi un phénomène significatif.

Dans ce marché de 2025, la stabilité apparente du brut dissimule une fragilité périphérique : marges comprimées, chaînes logistiques sous tension, valorisations sectorielles en recomposition.
La véritable question n’est donc plus quand surviendra le prochain choc pétrolier, mais se propageront les ondes de choc silencieuses d’un baril lourd de surplus.

Sources :

  1. Agence internationale de l’énergie (AIE) : Oil Market Report, octobre 2025
  2. AIE : Oil 2025 : Analysis and Forecast to 2030
  3. AIE : As oil market surplus keeps rising, something’s got to give (commentaire)
  4. OPEP :  Monthly Oil Market Report, octobre 2025
  5. U.S. Energy Information Administration (EIA) : Short-Term Energy Outlook, octobre 2025
  6. EIA : Petroleum Supply Monthly & Drilling Productivity Report, sept.–oct. 2025
  7. Banque mondiale : Commodity Markets Outlook, octobre 2025 : Energy Transition Pressures and Oil Supply Response
  8. OCDE Data Portal – Croissance du PIB, inflation et balances énergétiques (Q3-Q4 2025)
  9. Reuters, 7 oct. 2025 : EIA hikes U.S. oil output forecast, warns oversupply will slash prices
  10. Reuters, 16 oct. 2025 : Where are the oil barrels? IEA gap deepens confusion over looming glut
  11. Reuters, 25 oct. 2025 : Global inventories hit four-year high as floating storage rises in Asia
  12. Argus Media, oct. 2025 : IEA hikes 2025-26 global oil supply growth forecast; demand slows
  13. OilPrice.com, oct. 2025 : IEA warns of larger oil glut than expected
  14. Hydrocarbon Engineering, 29 oct. 2025 : Projected oil surplus of nearly 4 million bpd in 2026 and slowing demand
  15. Oil & Gas Journal, oct. 2025 : IEA: Global oil market to see huge oversupply
  16. Bloomberg Energy Outlook, nov. 2025 : Global oil price forecast remains stable as inventories build, OPEC+ output rises
  17. Financial Times, oct. 2025 : Oil market calm hides rising stress in products and freight
  18. Platts / S&P Global Commodities, oct. 2025 : Petrochemical feedstock demand softens amid stable crude
  19. FMI : World Economic Outlook Update, oct. 2025
  20. Organisation mondiale du commerce (OMC) : Trade Outlook Q4 2025